« Mine de rien on trace son chemin »

« On demande souvent aux chercheurs d’expliquer à quoi servent leurs recherches, ce qui justifie les crédits qu’on leur octroie. Je suis alors tentée de répondre : à rien, simplement à explorer, à faire avancer la connaissance parce que c’est ce que fait Homo Sapiens et ce n’est déjà pas mal »

Alice grandit à Paris et, alors qu’elle est aussi littéraire que scientifique, elle s’oriente vers les sciences « parce que je ne savais pas encore quoi faire de cette vie et que c’était la voie qui me fermait le moins le champ des possibles ».
Elle est passionnée d’astronomie, abonnée à Ciel et Espace depuis l’âge de dix ans mais n’envisage à aucun moment cette discipline en termes professionnels.
Elle fait une classe préparatoire et intègre l’école d’ingénieur Supélec à Rennes où elle restera 2 ans avant de rejoindre le campus de Gif-sur-Yvette (maintenant au cœur de Paris-Saclay).
Lors de son cursus et pour joindre l’utile à l’agréable elle effectue ses stages d’ingénieur au CNES et au LESIA - à l’Observatoire de Meudon - où se trouve également le bâtiment des inscriptions au DEA (ancien Master 2) d’Astronomie et d’Astrophysique d’Ile-de-France. Elle dépose un dossier, passe l’audition, « et finalement pourquoi pas ? ».
Elle obtient son diplôme, cherche du travail et est recrutée à France Telecom.
Il ne lui faut qu’une journée pour se rendre compte que cela ne lui plaira pas et cette même journée elle apprend avec joie que sa candidature au DEA d’Astronomie et Astrophysique est retenue.


Elle s’y engage comme dans une année sabbatique « je me disais que c’était pour ma culture générale, j’avais atteint un palier dans mes connaissances en astronomie et je n’arrivais plus à nourrir seule ma passion. J’admire les autodidactes mais je n’en suis pas une. ».
Bien que cette année, pendant laquelle elle a la chance de suivre les cours d’André Brahic et d’Anny Chantal Levasseur-Regourd, soit « pour le plaisir » et sans obligation de résultat puisqu’elle ne souhaite pas a priori faire une thèse, elle travaille énormément. Pendant son stage de fin d’année au CETP avec Valérie Ciarletti, elle se prend au jeu et décide finalement de postuler à une bourse pour poursuivre en thèse ses travaux sur un radar à pénétration de sol qui devait sonder le sous-sol de Mars dans le cadre de la mission Netlander (mission abandonnée depuis). Valérie Ciarletti et Jean-Jacques Berthelier sont ses directeurs de thèse.
Elle se sent à sa place et comprend qu’elle ne sera plus ingénieur même si sa thèse comporte un volet instrumental important. Le radar sur lequel elle travaille ne partira pas sur Mars mais elle apprécie les nombreuses campagnes de mesures qui jalonnent sa thèse et qui lui permettent de tester les performances de l’instrument sur des analogues planétaires « plus ou moins pertinents ! ». Elle regrette de ne pas avoir participé à celle en Antarctique qui a eu lieu juste avant le début de sa thèse. Y aller est l’un de ses rêves.
En troisième année, elle part 3 mois au Lunar and Planetary Institute de Houston travailler sur l’hydrologie martienne avec Steve Clifford. Elle se rapproche ainsi un peu de Mars et développe le volet planétologie de sa thèse.


Une fois docteure, elle part en post-doctorat NASA au Jet Propulsion Laboratory, à Pasadena, en Californie où elle passera trois ans et demi au sein de l’équipe du radar de Cassini.
Elle arrive à un moment qu’elle juge idéal puisque la sonde Cassini est depuis 4 ans en orbite autour de Saturne et que le radar a déjà collecté pléthore de données, des données de qualité qui plus est. « La plupart des grandes découvertes avaient déjà été faites (les lacs de Titan, les geysers d’Encelade...) mais soulevaient de nombreuses questions et il y avait beaucoup de matière pour tenter d’y répondre ». Sa cible d’étude est alors Titan, la plus grosse lune de Saturne, et Mike Janssen, son directeur de post-doc, lui laisse beaucoup de liberté tout en l’initiant à la radiométrie micro-onde.
« La première année a été particulièrement intense car, comme pour beaucoup de post-docs, il fallait obtenir rapidement des résultats. Je suis très heureuse de ne plus avoir cet impératif de publication. Même s’il est important de publier, l’avantage d’avoir un poste permanent, comme c’est possible en France, est de pouvoir le faire en respectant ses propres délais ».

Elle donne naissance à son premier enfant en seconde année. Son statut de post-doctorante ne lui donne pas le droit à un congé maternité et elle ira jusqu’à rencontrer des responsables du NASA headquarter pour faire passer le message que ce statut est injuste pour les chercheuses. Elle prend deux mois sans solde mais n’arrête jamais vraiment de travailler, rendant ainsi cette naissance imperceptible sur son CV.

En septembre 2011 elle obtient un poste de Maître de Conférences. « J’étais très naïve et j’ai compris tard que si j’avais obtenu un poste c’est aussi parce que des personnes au laboratoire m’ont soutenue et ont préparé mon retour. Je les remercie aujourd’hui. »
Elle poursuit ses travaux sur Cassini en les élargissant aux satellites sans atmosphère de Saturne (Encelade, Japet, Mimas, Téthys, Rhéa, Dione...), et travaille sur WISDOM, le radar de la mission ExoMars 2020 dont la PI (Principal Investigator) est Valérie Ciarletti. De plus, Michel Hamelin alors responsable scientifique français de la sonde de permittivité de Philae sur Rosetta, lui demande de prendre son relais.
Le fait que le poste soit ouvert sur une chaire CNES/UVSQ lui permet de débuter avec un 1/3 de service d’enseignement et de ne pas avoir à abandonner une partie de sa recherche. « Je n’aurais jamais pu participer à l’aventure Rosetta si je n’avais pas eu une décharge ».
Elle pointe du doigt la condition des enseignants de l’UVSQ au LATMOS qui ont des cours sur plusieurs sites et pas forcément sur celui où ils font leur recherche. Cela veut dire, plus de temps dans les transports et moins d’occasion d’échanger avec leurs collègues et avec les étudiants. Sans parler des affaires qui sont éparpillées et du bouquin voulu qui n’est jamais dans le bon bureau...
Et pourtant, elle est fière d’enseigner et aime transmettre « Je pense que les enseignements sont indissociables de la recherche, ils sont une respiration, ils la nourrissent même très souvent, plus souvent que l’on ne croit ».

En janvier 2018 elle passe son HDR qui lui permet de faire le point sur 10 ans de travail. Elle peut maintenant encadrer officiellement des étudiants-chercheurs « sans eux la recherche n’avancerait pas ; leur enthousiasme, leur énergie et le temps « libre » dont ils disposent en font des acteurs essentiels de la recherche ».

« Je suis contente. Si j’ai fait un bon choix dans ma vie c’est celui de la thèse plutôt que de poursuivre comme ingénieur. C’est un choix qui s’est imposé à moi, comme un déclic. Je suis heureuse d’avoir également la chance d’enseigner et de transmettre »

Alice a une autre passion : l‘art pariétal. « Pendant les longues heures que j’ai passées à cartographier les dunes de Titan, j’ai souvent pensé au préhistorien Henri Breuil relevant les peintures de la grotte de Lascaux. Il y a un vertige à se plonger dans les images de la surface de Titan comme j’imagine qu’il y en a un lorsqu’on dessine le contour des taureaux de Lascaux. En même temps, on réalise à quel point ces relevés sont subjectifs. Pourtant, ce sont eux qui vont guider la recherche ensuite. C’est pourquoi il est si important que plusieurs chercheurs s’emparent d’un même sujet ».

Recommandée par le programme national de planétologie (PNP) Alice reçoit cette année 2018 la médaille de Bronze du CNRS dans la section Sciences de l’Univers.
Ce que le CNRS récompense avec cette distinction c’est la promesse d’une belle recherche à venir. Mais pour Alice ce que met en lumière cette médaille c’est surtout la fierté dans le regard de ses proches. Cette reconnaissance qu’elle a elle aussi pour les autres et qu’elle manifeste régulièrement lorsqu’elle parle de sa carrière.

« Je me rends compte que j’ai eu beaucoup de chance ; j’ai toujours travaillé avec des personnes qui m’ont accompagnée et m’ont transmis leurs connaissances avec beaucoup de respect et de bienveillance, me donnant ma place de scientifique sans considérer mon âge ou mon sexe. »

 

2018 04 LeGall Alice felicitations bronze